ÉCRIRE C’EST PRODUIRE DU SENS ; LIRE C’EST RESTITUER DU SENS. CONSIDÉRATIONS AUTOUR DE LA QUESTION.
Dans l’article précédent j’ai écrit : Écrire c’est produire du sens ; lire c’est restituer du sens.
Une amie m’a interpelée au sujet du mot « restituer ». A reconsidérer son questionnement, je me rends compte que ce n’est pas sur « restituer » qu’il porte, en tout cas pas seulement, mais sur l’ensemble de la proposition « restituer du » (sens).
J’aurais pu écrire : lire c’est restituer le sens. Cela n’aurait pas eu la même signification. La lecture implique le respect de ce qui a été écrit. C’est indéniable ( ? ). En tout cas, c’est ce qu’impose l’honnêteté intellectuelle vis-à-vis de l’auteur. Mais est-ce toujours le cas ? Si la réponse est oui, alors lire c’est restituer le sens, sous-entendu « que celui qui a écrit a voulu donner à ses mots ou plus précisément à son discours ». Alors grammaticalement il faut définir « le sens » donc compléter ma phrase puisque précédé d’un article défini le mot se doit d’être défini.
Si le lecteur est sommé de donner au texte qu’il lit la signification qu’a voulu lui donner l’auteur, alors cela sous-entend qu’il peut aussi lui en donner une autre. Le lecteur ne se ferait plus le messager de l’auteur mais son traducteur. Il y a là un risque : traduttore, traditore, traduire, c’est trahir disent nos amis italiens. Une traduction ne peut jamais être parfaite, elle peut même trahir la pensée originelle de l’auteur.
Les élèves sont rarement confrontés à ce problème au moment de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Un peu plus tard ils le sont surtout non pas en tant que lecteurs mais en tant qu’auteurs avec les exercices d’expression écrite.
Cette réflexion m’amène à une proposition nostalgique : ne pourrait-on pas prévoir dès la petite enfance des lectures de grands auteurs puis introduire très tôt les commentaires grammaticaux, les analyses de style, les analyses du discours qui, menés avec l’ouverture qui encourage les esprits curieux sont, de mon point de vue, non pas un assassinat du texte mais, au contraire une invite à rencontrer la pensée de l’auteur et, pourquoi pas, celle d’autres lecteurs et, chez les plus grands écrivains – mais pas seulement -, tout ce que dit le texte au-delà même des mots dans ses tournures de phrases, ses respirations, ses redites, ses rappels.
En conclusion, ma proposition Écrire c’est produire du sens ; lire c’est restituer du sens exprime bien ce que je voulais dire :
– l’écriture n’existe que si elle y est conviée par une pensée,
– cette pensée a généralement vocation à être partagée par un lecteur (mais on peut aussi écrire uniquement pour soi),
– ne trahissons pas le texte au nom de la liberté,
– n’interdisons pas à notre pensée, au nom du respect du texte, d’aller visiter le propos un peu plus loin que ne le disent les seuls mots.
Le choix de cette mise en exergue – écrire c’est produire du sens ; lire c’est restituer du sens – veut souligner que ma méthode d’enseignement de l’écriture vise à satisfaire à cette quadruple exigence dès le début de l’accès à l’écriture.
Un lien pour ceux qui ont envie de se laisser porter plus avant par une réflexion sur la relation des mots au sens.
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