Je me réjouis d’avoir établi la compatibilité voire la complémentarité des lettres rugueuses de Montessori avec mes propositions pédagogiques.
Il est toutefois un autre plan de la pratique des lettres rugueuses que ma position de linguiste ne me permet pas de faire mien : celui de la relation graphophonologique. Selon la pédagogie Montessori, le son de la lettre doit être prononcé après que sa forme a été suivie du doigt.
Je sais que l’habitude est répandue de se dire que l’enfant doit entendre le son des lettres dont celui des lettres p, b, t, d, m, n, g et c en prononciation dure, k.
Ces dernières sont des consonnes occlusives. Comme leur nom le laisse pressentir, les occlusives ont à voir avec l’occlusion, la fermeture. C’est un pléonasme de dire que rien ne sort de ce qui est fermé.
Pourtant il faut le dire car la pratique le refuse trop souvent : pour que le son sorte, il faut ouvrir les organes phonatoires et quand on les ouvre, ça fait sortir la voix, donc ça fait une voyelle. Donc, quand on ouvre pour faire entendre quelque chose, indissociablement du bruit du point d’ouverture on fait obligatoirement entendre une voyelle, à défaut une fricative sss, zzz qui laisse un peu passer l’air et produit un bruit de frottement : on prononce te, ti, tu ts, tch, tz, ta etc. mais jamais le bruit de la consonne t toute seule.
A mon avis, il eut été plus réaliste et plus efficace de réserver le nom de consonne à ces réalités phoniques qui ne peuvent que “sonner avec”. Elles sonnent avec une voyelle ou une fricative appelée aussi constrictive qui, elle, par définition contraint sans bloquer, donc peut se prononcer seule.
Pourquoi ne pas avancer pour ces dernières le nom de solsonne (solus-sonare) ce qui distinguerait les consonnes (cum-sonare, qui ne sonnent qu’avec : d, t, p, b, k, c et g en son dur, m, n) – des solsonnes – qui peuvent sonner seules : s, z etc. g et c pouvant être des solsonnes ou des consonnes selon leur prononciation ? Cela faciliterait la tâche des enseignants. et, qui sait, éviterait peut-être de désespérer certains enfants.
Donc, ce qui s’entend à la production de la consonne occlusive, c’est le bruit que produit le point d’ouverture des organes phonatoires au moment où l’air sort pour porter la voix donc pour produire un son voyelle.
On m’objectera que dans le mot arabe mektoub ou maktoub (selon les prononciation), il n’y a pas de voyelle après k. (Pour faire simple je dirai que ce mot désigne le destin). Non, il n’y a pas de voyelle après k, mais il y en a une avant. Dans ce cas, c’est le point de fermeture et non le point d’ouverture qui provoque le bruit. C’est d’ailleurs en référence aux cas de fermeture des organes phonatoires que j’ai mis sur mon abécédaire des images illustrant le son ou le bruit de la lettre non seulement placée en début de mot, mais aussi placée en fin de mot. (on comprendra aisément si on fait se succéder ces deux interjections : Stop ! Patatras ! )
Faire prononcer p après avoir passé son doigt sur un p, t après avoir passé son doigt sur un t est une pure vue de l’esprit et risque d’induire en erreur certains enfants, peut-être plus encore parmi eux les plus doués, ceux qui cherchent à comprendre, donc à entendre, parce que justement ils entendent tch, ts, ti, tchi, te etc. quand on tente de les persuader qu’ils doivent entendre le supposé son de la lettre t.
Donc pour garder l’idée de relation graphophonologique, je propose que soit dit non pas le son de la lettre, mais son nom. Pour les voyelles le son est identique au nom. Pour les consonnes le bruit s’entend toujours dans la prononciation du nom.
Je fais donc la proposition suivante : L’enfant dit le nom de la lettre après l’avoir repassée et, selon la consigne qui lui sera donnée, il prononce un mot qui commence par la lettre puis, éventuellement, un autre qui la contient ailleurs. L’existence d’une relation graphophonologique est conservée et elle est réajustée à la réalité.
Ma proposition transforme aussi le geste lent en un geste rapide : c’est que, à ce stade, l’enfant formé à la méthode Dumont identifie les lettres en identifiant leurs formes et a encodé le processus de formation. C’est donc la vue de la lettre et non le suivi avec le doigt qui convoque le geste : le geste “suit” en quelque sorte. Repasser sur la lettre rugueuse conforte et renforce l’encodage procédural déjà acquis. Nommer la lettre prouve que la lettre a été reconnue. La placer en début de mot, en fin voire au milieu rend acte que l’enfant a compris l’articulation et l’emploi de la lettre, donc que l’accès à la lecture est en bonne voie.
Une objection m’a été faite. J’y réponds ici en explicitant plus avant mon propos et en mettant l’accent sur son intérêt pédagogique.
Bonjour,
J’enseigne en CP pour la première fois cette année et je n’ai constaté que 2 élèves qui, encore au mois de juin, épellent avant de lire une syllabe.
Le premier, qui a fait de l’orthophonie, dit “t a ta”. Quand il dit “t”, il ne bouge pas les lèvres : c’est un t sans voyelle. Bien sûr, il ressemble un peu à un “te” mais ce qui pourrait être pris pour un son e ne fait pas vibrer ses cordes vocales.
Le second dit franchement “té a ta”. il a beaucoup plus de difficulté à lire dès que la syllabe comporte 3 lettres ou plus.
D’autre part, aucun de mes bons élèves n’a été gêné par le fait de ne pas ajouter de voyelle après une consonne fermée.
Bonjour Patricia,
Je suis vraiment désolée : il n’existe pas de t sans voyelle. On “n’AJOUTE pas une voyelle après une consonne fermée” : quand on ouvre, car il faut bien ouvrir sinon ça ne fait rien (cas du 1er enfant dont tu parles), cela fait automatiquement une voyelle, parce que quand on ouvre après avoir bloqué l’air, la voix sort. Ce n’est pas une décision, ce n’est pas le fruit de la volonté du locuteur, c’est un fait biologique.
Phonologiquement il n’y a pas “t-a ta”, ni “té-a ta”, et c’est bien ce qui induit tes deux élèves en erreur, il y a “ta”, comme il y a “to”, ou “ti” ou “ton”…
Je vous souhaite une belle journée
Danièle Dumont