Question : Quel est l’intérêt d’écrire le prénom au plus tôt ?
Réponse : La réponse dépendra surtout de ce que signifie “au plus tôt”.
S’il s’agit de commencer à le faire écrire dès que l’enfant commence à prendre un crayon cela n’appellera pas la même réponse que s’il s’agit de le faire écrire dès que l’enfant a les compétences requises pour l’écrire correctement, ni la même réponse s’il s’agit de faire en sorte que cette écriture soit pertinente.
Il n’échappera pas que faire écrire le prénom – ou toute autre chose – avant même que l’enfant ait appris à tenir et manier un crayon est une erreur pédagogique.
Le faire avant que l’enfant maitrise les contingences spatiales de l’écriture lui fait courir le risque d’écrire plus mal son prénom que toute autre chose lorsqu’il arrivera au CP car c’est difficile de perdre ses mauvaises habitudes.
“Écrire le prénom au plus tôt” signifie en général “l’écrire avant tout autre écrit”. Le prénom fait partie de ce qu’on appelle les noms propres. Chaque enfant a donc son propre prénom. Lorsqu’on l’appelle il répond. Il répond éventuellement “présent” ou “je suis là”, ou “c’est moi”. Si l’appel se fait tous les matins l’enfant est donc en droit de penser que le prénom le représente. C’est d’autant plus vrai quand on place à part le prénom des absents. Cette conception de l’écriture du prénom est renforcée par la présence d’une image à côté du prénom écrit et sa disparition au bout d’un certain temps pour laisser place au prénom seul : la photo représente l’enfant, l’écriture du prénom “le représente donc”.
Voilà donc l’entrée dans l’écrit entachée dès le début d’une erreur fondamentale bien ancrée qu’il faudra du temps pour réparer : pour l’enfant l’écrit représentera donc l’objet – ce qui pouvait déjà correspondre à une tendance naturelle. Cette tendance est « justifiée », donc renforcée par un exemple renouvelé au quotidien : l’écriture des prénoms de la classe « représente » chaque enfant de la classe (dans l’esprit de l’enfant).
Il s’agira donc ensuite de montrer à l’enfant que l’écrit ne représente pas l’objet, et même ne représente rien. Ce ne sera pas chose facile, d’autant plus que la charge affective placée dans le prénom donne bien du poids à cette compréhension erronée. Il faudra donc du temps pour déconstruire cette idée fausse en veillant d’une part à ne pas blesser l’enfant (ce n’est pas facile d’admettre, même en soi-même, qu’on n’a pas compris ce qui est pourtant fondamental), d’autre part à ne pas décrédibiliser l’école (elle a laissé croire des choses qui ne sont pas).
L’école maternelle devra donc apprendre à l’enfant, avant qu’il en sorte, que, contrairement à ce qu’elle lui a laissé croire dès qu’il y est entré, l’écrit renvoie à l’oral qui, placé dans un contexte, fait comprendre ce que l’auteur a voulu exprimer.
Lorsque l’enfant saisit que l’écrit renvoie à l’oral, il commence à en percevoir les occurrences orthographiques. Or, actuellement plus encore que dans le passé, les prénoms répondent mal aux occurrences orthographiques de la langue française ou ont une orthographe instable.
En ayant comme base de référence l’écriture du prénom, l’enfant aura du mal à repérer implicitement l’existence d’occurrences orthographiques.
Donc, l’écriture précoce du prénom ne présente linguistiquement aucun intérêt pour l’entrée dans l’écrit. Elle peut, au contraire, créer une méprise sur le fonctionnement de l’écrit, freiner la compréhension de l’existence d’une relation grapho-phonologique et, par voie de conséquence, freiner l’acquisition de la lecture et de l’orthographe.
En outre, les différences de lettres d’un prénom à l’autre se prêtent mal à une séance de découverte collective, donc en cas d’apprentissage anticipé, l’écriture du prénom doit être individualisée. Cela n’est pas chose facile dans des classes surchargées.
Enfin, les lettres d’un même prénom ne se prêtent pas toujours à la mise en place d’une progression structurée et efficace d’apprentissage des lettres elles-mêmes et de leur enchaînement. L’enfant va donc en retirer une compétence morcelée difficilement réinvestissable.
Donc écrire le prénom de façon anticipée présente de nombreux inconvénients.
L’écrire au plus tôt, si on parle d’écrit de qualité sur le plan technique et sémantique, signifie l’écrire lorsqu’on sait adopter une bonne posture, tenir et manier son crayon, reconnaître les lettres qui le composent et les former avec fluidité en leur donnant des dimensions et proportions adaptées et en leur assurant un enchaînement judicieux, placer ces lettres correctement dans la page, percevoir l’existence d’une relation graphophonologique et avoir compris qu’écrire c’est produire du sens.
Bonjour Mme Dumont,
Je suis parent. Tout d’abord, je tiens à vous remercier, vous nous donnez l’heure juste sur les faits en matière d’apprentissage de l’acte d’écrire, dans une mer où les bons sentiments semblent brouiller notre accès à ces informations.
La manière par laquelle amorcer l’apprentissage de l’écriture de mes garçons m’intéresse tout particulièrement. Je ne suis pas certain de bien comprendre toutes les raisons pour lesquelles l’amorce par le prénom est une erreur.
Sur ce premier point, merci de m’indiquer si je vous comprends bien. Le prénom, par sa construction sémantique libre, présente souvent moins d’occurrences transposables à la sémantique de l’ensemble de la langue française. Pire, le prénom présente souvent des occurrences erronées pour la structure de la langue française. Ce qui fait que se servir du prénom comme base sur laquelle fonder la compréhension de l’écriture de la langue française est un problème.
Sur ce second point, merci de m’éclairer. Je ne saisis pas correctement le problème lié au fait que, pour l’enfant, l’écrit représente l’objet, que son prénom écrit représente la personne qu’il est. Son prénom écrit n’est-il justement pas une forme (parmi d’autres possibles) de représentation de sa personne, de son être ?
Enfin, j’ai une dernière question qui n’est pas liée au prénom. Je m’interroge sur le choix d’initier mes garçons à l’écriture cursive ou scripte. À travers vos écrits et ceux d’autres pédagogues, je pense comprendre que l’écriture cursive est préférable pour le développement de l’enfant et pour sa compréhension de l’acte d’écrire (relier les lettres pour former des mots). Est-ce exact ? Merci de me préciser. En sous-question, un problème de contexte culturel. Si mon affirmation précédente est exacte, que faire en contexte d’école québécoise (je suis Québécois), où l’écriture scripte est presque systématiquement enseignée un an ou deux avant la cursive ? Est-ce possible d’initier mes garçons à la cursive à la maison avant le début de l’école, sans qu’ils en soient perturbés lors de leur entrée à l’école, qui se fera assurément par la voie de l’écriture scripte ? Est-ce un fardeau supplémentaire pour eux ? Est-ce qu’ils le percevront simplement comme un nouvel apprentissage à faire ? Ou encore, est-ce que l’amorce de la connaissance de l’écriture cursive leur fournira un «outil» leur permettant de parvenir plus rapidement à écrire en script ?
En vous remerciant chaleureusement pour votre temps et, plus largement, pour votre pédagogie populaire sur l’apprentissage de l’écriture.
Vincent Baron
Laval, Québec
Bonjour Monsieur Baron,
Merci pour votre message.
La question du prénom ne concerne pas que le français. C’est une question de fonctionnement de la langue : la langue utilise des noms qui sont propres aux objets désignés par exemple la Tour Eiffel, même s’il s’agit de collectifs par exemple les Dalton. En revanche la plupart des noms de la langue sont des noms communs : table, chaise, livre, vélo, champignon… Se servir de l’écriture du prénom comme entrée dans la langue en général peut porter l’enfant à croire que le mot écrit représente l’objet.
Lorsqu’on écrit on a en tête ce que l’on veut écrire. En cursive, la première lettre est déjà conditionnée par la suite : je n’écrirais pas le e de la même façon pour écrire entier , escargot ou “avec” . L’écriture cursive nécessite donc un fonctionnement cérébral spécifique. L’écriture script n’a pas les mêmes exigences. Les lettres sont toujours à l’identique.
Commencer par la cursive n’entrave pas l’entrée dans l’écriture script. Commencer par l’écriture script incite l’enfant à tracer des lettres toujours identiques à elles-mêmes donc entrave l’accès à la fluidité du geste.
Vous pouvez apprendre à vos enfants à écrire en cursive à la maison en suivant ce que j’ai publié dans le billet signalé par une étoile clignotante en page d’accueil.
Bonjour Mme Dumont,
Je vous remercie sincèrement pour votre réponse. Vous confirmez mes soupçons et, surtout, vous me permettez de prendre des décisions en toute connaissance de cause. Je poursuivrai mes recherches sur ces sujets. Je sais que la plupart de vos publications concernent l’apprentissage de l’écriture, mais pour l’enjeu du fonctionnement de l’apprentissage du langage par l’enfant, avez-vous un ou deux ouvrages à me suggérer (les vôtres ou ceux d’un autre auteur, Québécois ou Français si possible) ? Je poursuivrai l’exploration de votre site internet.
En toute gratitude,
Vincent Baron
Bonjour Monsieur Baron,
Je pense que ce qui vous intéressera ce sont les travaux de Claire Martinot sur la reformulation. Vous avez ici un aperçu de sa recherche
Avec ces mots clé Claire Martinot et reformulation vous devriez trouver de quoi répondre à certaines de vos préoccupations.
Cordialement
Danièle Dumont