L’allègement de la charge cognitive lors de l’apprentissage de l’écriture en maternelle est l’avantage majeur de la méthode que j’ai mise au point. La plupart des tâches d’apprentissage requièrent un effort conscient et un temps considérables pour passer d’un traitement d’abord contrôlé à un traitement automatique. Celles qui visent l’acquisition d’un schéma – le geste d’écriture en ce qui nous concerne – impliquent donc une charge cognitive qui peut éventuellement gêner l’apprentissage. Il est alors utile d’alléger cette charge.

A cet article que j’ai écrit il y a une quinzaine d’années, j’ai ajouté plus bas un lien vers des vidéos qui illustrent le propos et la référence à la nouvelle édition du geste d’écriture (en 2016)

Dans la préparation à l’écriture, la charge cognitive peut être allégée en dissociant l’objectif de l’enfant (réaliser la tâche demandée en respectant les consignes données) de celui in fine de l’enseignant (obtenir à terme une écriture ayant les qualités requises) :
« Ainsi il est plus perturbant que constructif de dire à des enfants de 2 à 4 ans, à qui on apprend à jouer au croquet selon une règle spécifique – ou au hockey pour l’écriture arabe – qu’ils sont en train d’apprendre à écrire ou encore, plus précisément, qu’ils sont en train d’apprendre le point d’attaque et le sens de rotation de la majorité des lettres dans le cadre de la gestion dynamique de l’espace graphique.
De même, il est plus perturbant que constructif de dire aux enfants qu’ils sont en train d’apprendre à écrire, ou plus précisément d’apprendre à gérer leur espace graphique, lorsqu’on leur propose d’aligner les unes derrière les autres dans l’espace jeux les voitures « en attente au péage de l’autoroute », de mettre en file indienne les canards qui vont à la mare dans un décor en images qu’ils auront disposé sur une table etc.
Présentant les travaux de John Sweller sur la charge cognitive et l’apprentissage dans la revue de Psychologie de l’Education 1998, 3, 37-64, André Tricot éclaire cette nécessité de différencier l’objectif de l’enfant et celui de l’enseignant : «Quand on spécifie le but d’un problème à un sujet qui ne possède pas le schéma pour résoudre ce problème immédiatement, on induit chez lui une démarche d’analyse moyens-fins qui peut être extrêmement coûteuse cognitivement et se solder par une absence d’apprentissage. En effet, avec ce type de stratégie de résolution de problème, le sujet doit maintenir de façon constante en mémoire de travail, à la fois le but, l’état du problème, les relations entre eux, les opérateurs qui peuvent réduire la différence entre eux et les sous-buts. En revanche, les problèmes sans but spécifié ne requièrent que le maintien en mémoire de travail de chaque état du problème et des opérateurs qui peuvent s’y appliquer ». 1

Le tableau de modélisation de l’apprentissage de l’écriture montre la décomposition possible des tâches avant qu’elles ne se réunissent à leur point de convergence qui est l’acte d’écriture lui-même. Lors de la mise en place des compétences de base visant un objectif, il peut donc être fait abstraction des compétences visées pour atteindre les autres objectifs, à la condition que la mise en place de cette compétence soit effectivement autonome (par exemple les compétences visuospatiales développées pour la gestion statique de l’espace devront prendre en compte les caractéristiques spatiales de l’écriture sans pour autant faire appel à l’écriture : par exemple, la régularité des espaces et la tenue de ligne peuvent s’encoder, entre autres, en semant des petits pois ou en plantant des tulipes).
On trouvera une présentation de l’interaction des activités dans la 2ème vidéo de ma chaine YouTube.

Cet allègement de la charge cognitive qui consiste à ne pas communiquer à l’enfant l’objectif final de l’opération, à savoir l’apprentissage de l’écriture, tout en optimisant l’efficience de l’opération est rendu possible par le fait qu’ « une connaissance acquise dans la réalisation d’une tâche peut être utilisée dans une autre tâche non isomorphe »2.

L’enfant accède ainsi à des apprentissages par des biais détournés, c’est à dire en transversalité, en l’occurrence, dans l’exemple donné, il acquiert des compétences qui lui serviront à écrire en jardinant.

Par conséquent, un enfant qui aura appris le lieu d’attaque et le sens de rotation des lettres par le jeu, avec réinvestissements successifs de ses compétences, aura moins de charge cognitive au moment de l’entrée dans l’écrit que celui qui commence directement par la copie de mots ou de textes et/ou qui verbalise le tracé des lettres (« je monte, je tourne, je descends… »). D’une part son geste sera plus assuré et immédiatement pertinent et performant, d’autre part il aura l’esprit libre pour penser au sens de l’écrit.

1) « Objectif de l’enseignant et objectif de l’enfant – charge cognitive et réinvestissement in Le geste d’écriture – Méthode d’apprentissage – Cycle 1 – Cycle 2 » Dumont Danièle, éditions Hatier, collection Hatier pédagogie, Paris, 2ème éd. 2006, 176 pages, page 21.
Cf. aussi Le geste d’écriture Dumont Danièle, éditions Hatier, collection Hatier pédagogie, Paris, 3ème éd. 2016,  Chapitre 3 Apprendre et enseigner : Une construction assistée des apprentissages Pages 29 et 30
2) « La charge cognitive » Armand Collin, Paris, octobre 2007, Chanquoy Lucile, Tricot André, Sweller John. Page 92