En arabe lecture et écriture sont deux mots construits sur une même racine. En français lecture et écriture sont étymologiquement étrangers l’un à l’autre.  Le fait que le lien qui les unit ne soit pas perceptible dans les mots  a permis que l’écriture se soit trop souvent trouvée réduite au dessin de lettres et la lecture à l’oralisation de signes.

Pourtant l’intimité de leur relation s’impose à la réflexion : écrire c’est produire du sens ; lire c’est restituer du sens.

Or l’orientation ministérielle semble être de placer le sens au second plan, le décodage devenant une sorte d’objectif premier de la lecture. Pour cela le ministère tend à imposer des méthodes reléguant les enseignants au rôle d’exécutants des consignes. Diverses organisations d’enseignants protestent.

https://www.icem-pedagogie-freinet.org/lecture-non-au-tout-syllabique

À vouloir imposer une façon monolithique d’enseigner, on risque de laisser des enfants sur le bord de la route du savoir donc de la liberté. Chaque enfant évolue intellectuellement, culturellement, physiquement, affectivement… en fonction de son propre “contexte”. Tout l’art de l’enseignement consiste à en tenir compte. Toutefois, cet art ne suffit pas. Encore faut-il les connaissances nécessaires sur le sujet. Force est de constater que la formation manque trop souvent dans le domaine qui est le mien, celui de l’écriture. Ce manque est dommageable ; il fait commettre des erreurs techniques qui vont focaliser l’attention de l’enfant sur la trace alors que lorsqu’il est libéré des contingences techniques de l’écriture, l’enfant peut appliquer plus librement sa pensée à ce qu’il écrit.

Donc, écrire c’est produire du sens ; lire c’est restituer du sens. On s’assure généralement que le sens soit perçu en posant des questions sur la lecture.

Je voudrais à ce sujet vous faire partager une expérience.

Un enfant de 13 ans souffrant de trisomie 21 et atteint de troubles de la sphère autistique triplait son CM2. Il devait monter en 6ème, ce qui s’avérait bien difficile (l’histoire ne se passe pas en France). Une jeune fille le suivait chaque jour notamment pour la lecture. La jeune fille et la maman (maman seule avec 3 enfants) disaient que c’était possible puisqu’il lisait. On me demande de le voir pour l’écriture. Je fais donc ce que j’ai à faire et, en le faisant écrire, je constate qu’il ne lit vraisemblablement pas. Je lui donne donc à lire un texte imprimé : la première phrase était entière, les suivantes étaient à trou. Quatre phrases en tout. Et il lit, très vite, avec une fluidité plutôt bonne. En réalité il ne lit pas, il oralise : il saute sans marquer de pause par dessus les trous de chaque phrase, ce qui les prive totalement de sens.

Pourquoi la jeune fille avait pu croire qu’il lisait ? Tout simplement parce qu’elle lui faisait toujours lire des numéros de la même revue, une revue sur les avions. L’enfant était passionné d’aviation et avait de vastes connaissances sur le sujet. Une fois la lecture terminée, elle discutait avec lui et le questionnait sans s’attacher aux détails des phrases lues. Peut-être lisait-elle le texte tout haut avant lui ? Quoi qu’il en soit je lui ai fait lire un nouveau texte à trous (je n’avais rien d’autre sous la main) et il l’a lu rapidement et sans comprendre, bien sûr, comme pour le premier.

Si lire c’est restituer du sens, il faut bien que ce sens ait été préalablement écrit (par quiconque). C’est donc en faisant écrire l’enfant, en lui faisant produire du sens, que l’enseignant s’assurera que l’enfant sait réellement lire.