C’est avec grand plaisir que j’ai donné ce mercredi 24 novembre une conférence organisée par l’ Atelier Canopé 54 de Nancy. J’en remercie chaleureusement le directeur et toute l’équipe.
Une fois n’est pas coutume, je ne publie que rarement mes conférences, j’en donnerai ici une brève synthèse. C’est qu’une question d’importance a été réactivée après la conférence : celle du graphisme dont une partie avait fait l’objet de commentaires dès le début de la présentation, la partie trace écrite.
J’y ai en effet montré et commenté tout au début une fiche de graphisme, celle que j’avais mise en ligne en 2005 et que vous pouvez retrouver ici avec ses commentaires.
Sa publication avait eu l’honneur à l’époque d’être commentée par le Café pédagogique et récemment d’être reprise par Eduscol dans ses recommandations.
J’ai pointé la différence entre dessin, graphisme et écriture dès la 1ère édition du Geste d’écriture en 1999. Cette différence a été reprise dans les programmes de 2002 puis progressivement reconduite jusqu’à maintenant où on la trouve clairement énoncée sur Educol.
Bien que cette publication soit ancienne, le lecteur pourra se reporter à mon article sur le site BienLire, organe du CNDP, ancêtre du Sceren lui-même ancêtre de Canopé. Que de nombreuses circonscriptions relaient à l’époque cette différenciation sur leur site et qu’une lettre d’information de l’INRP signale la parution de l’article en a souligné l’importance.
En 2010 en réponse à la question d’un maître formateur sur le sujet du « graphisme à l’école maternelle dans la perspective d’enseigner l’écriture », j’ai ouvert chez Orange ce que l’on appelait alors une page perso. https://graphisme-ecriture.monsite-orange.fr/index.html. (Petite parenthèse au sujet de la terminologie : le mot « étrécie » ne s’était pas encore imposé à moi et j’en étais encore avec l’idée que la 2ème forme de base était le pont ; j’ai montré depuis que c’est le rouleau.)
Nous avons donc vu dans la conférence de ce 24 novembre 2021 que les graphismes récapitulés sur ladite fiche ne préparent pas à l’écriture et que certains sont contradictoires par rapport à l’écriture. C’est le cas par exemple des ponts de deux hauteurs différentes enchaînés sur une même ligne qui provoquent ensuite l’écriture de la lettre m avec des ponts de hauteurs différentes.
Avec des I de plus en plus grands et des T de plus en plus petits suite à des lignes de boucles de plus en plus grandes puis de plus en plus petites, nous avons vu à quel point les premières représentations sont tenaces. En même temps nous avons vu que l’enseignant qui trace le modèle ne se rend pas forcément compte que son propre tracé présente la même anomalie et que, par voie de conséquence, ses corrections elles-mêmes défectueuses renforcent la représentation erronée que se fait l’enfant.
Nous avons vu aussi que, si elles n’ont pas été précédées de l’écriture de mots en tout début d’apprentissage, les lignes de lettres sont susceptibles de donner à l’enfant une représentation erronée de ce qu’est l’acte d’écriture : « écrire c’est dessiner des lettres », « écrire c’est faire des lettres et les attacher », « écrire c’est dessiner des lettres en respectant bien le modèle », toutes représentations qui excluent l’idée que l’écriture porte le sens que l’enfant a en tête au moment où il écrit.
Au mieux en traçant les lettres le petit enfant pensera alors à ce qu’il écrit («J’écris une lettre au Père Noël » « J’écris une recette de cuisine pour maman » au lieu de penser ce qu’il écrit (« Cher Père Noël », « 100 g de farine »)
Au pire il pensera la trajectoire du crayon sur le papier (« je commence en haut du premier interligne, je vais en direction de la porte, je tourne pour descendre jusqu’à la ligne… »)
Il est donc nécessaire de préparer l’enfant à ce qu’est la réalité de l’écriture : le produit d’un mouvement et, intimement liée à ce mouvement encodé, la production du sens qu’il a en tête.
Pour que tout cela fonctionne correctement, toutes les composantes du système d’écriture se préparent hors écriture (latéralisation, posture, tenue et maniement du crayon, gestion statique de l’espace graphique c’est-à-dire mise en place de toutes les contingences de l’écriture tenue de ligne, régularité et proportion des espaces, régularité et proportion des dimensions, verticalité des axes – sans pour autant qu’il soit déjà question d’écriture sauf éventuellement de reconstitution de mots avec des vignettes comportant des lettres en capitales. C’est à dire toutes les compétences à acquerir listées dans la tableau de modélisation de l’apprentisssage de l’écriture en lien ci-après.)
Les exercices ciblés de motricité fine, les manipulations d’objets pour ouvrir la main, pour tonifier les doigts, pour les aligner dans un but défini (ex. faire le chemin du Petit Poucet, planter les bulbes de fleurs pour faire une allée …) seront autant de motifs à préparer l’écriture sans que l’enfant s’en rende compte ce qui risquerait d’induire des biais. Ce n’est que lorsque toutes les compétences nécessaires seront acquises (au point rouge qui, sur l’illustration marque la convergence de tous les acquis) que l’enfant pourra se remettre en mémoire et rapprocher tout ce qu’il a fait pour constater avec bonheur qu’il a en fait appris à écrire. Il ne reste plus qu’à découvrir progressivement chaque forme et chaque lettre et les mettre en situation.
On comprendra aisément qu’il est dans l’intérêt de l’enfant que le graphisme décoratif qui fait laisser des traces sans lien avec l’écriture, qui fait essayer divers outil scripteur, qui fait tourner les ronds à l’envers soit clairement différencié de l’écriture. J’ai écrit à ce sujet une comptine qui dit :
Je dessine une tête un soleil Le manège de la fête Une tarte à la groseille Et je tourne dans le sens ce que je veux Mais pas les C. O. A. et D.
On comprendra aussi que parallèlement au graphisme décoratif – dont certaines composantes notamment la gestion de l’espace peuvent être communes au graphisme décoratif et à l’écriture – l’enfant gagne à ce que tout ce qui prépare à écrire soit mis en place dès la PS voire la TPS. Il gagne aussi bien sûr à ce que les objectifs et les modalités d’apprentissage soient claires dans l’esprit de l’enseignant afin que les activités de graphisme (et de dessin) n’entravent pas la bonne préparation à l’écriture.
La modélisation de l’apprentissage de l’écriture en montre les différentes composantes.
Le processus de création des formes et le processus de formation des lettres met en évidence les sept formes qui servent à écrire en minuscules cursive latine.
Une conférence ne pouvant circonscrire l’ensemble de tout ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture cette conférence s’est terminée sur la présentation des formes et des processus qui conduisent des deux formes de base (la boucle et le rouleau) à l’écriture qui fait sens.
J’espère y avoir apporté aux participants des éléments de réflexion qui pourront guider leur enseignement du geste d’écriture, concept qui concerne tout ce qui va du moment où l’on s’apprête à prendre le crayon jusqu’au moment où on écrit en produisant le sens que l’on a à l’esprit.
Je terminerai cette synthèse sur ces mots : écrire c’est produire du sens, (lire c’est restituer le sens de l’écrit) Et bien sûr le sens c’est celui que le scripteur lui-même a en-tête.. Plus la technique sera pertinente, plus l’esprit sera libre pour se consacrer au sens de l’écrit.
Un grand merci à tous les enseignants qui ont participé activement à cette conférence. Merci également à l’Atelier Canopé 54 Nancy et aux Editions Hatier qui l’ont organisée conjointement.
Des commentaires parmi les premières mises en place
Des commentaires plus récents
N’oubliez pas que les cahiers (et leurs livrets d’accompagnement) sont à votre disposition pour optimiser votre enseignement de l’écriture et faciliter le lien avec les familles. tout en permettant à chacun de monter ses propres projets.
Merci pour votre éclairage…
Je reapprofondis à chaque fois que je vous lis.
Le lien lecture/écriture est une réalité en cette période où les enfants déchiffrent de mieux en mieux. Ainsi on découvre les leçons par le biais de l ecriture ( bp de mots sur l’ardoise et 1 phrase …). Les notions de graphisme c est tout l enjeu de la maternelle avec la tenue du crayon. Qu est ce qu il est difficile de changer les mauvaises habitudes en CP….
Bonjour Madame Grange.
Merci pour votre message.
Comme vous le constatez il est très difficile de changer les mauvaises habitudes au CP.
Un des gros problèmes c’est justement que la notion de graphisme n’a rien à voir avec l’enjeu de l’apprentissage de l’écriture même en maternelle.
Le graphisme a sa raison d’être dans le graphisme décoratif, dans le développement des capacités d’observation, dans le contact avec la matière, dans des activités artistiques. Pas dans l’apprentissage de l’écriture. Il y interfère parfois de façon positive trop souvent de façon toxique.
Faire du graphisme pour apprendre à écrire c’est comme apprendre le chinois pour connaître l’arabe.
La tenue du crayon des activités graphiques autres que l’écriture n’est pas forcément en lien avec la tenue du crayon de l’écriture. Son maniement non plus.
Constater combien il est difficile de changer les mauvaises d’habitude en CP c’est déjà un grand pas. Prendre en compte l’étroitesse du lien qui relie écriture et lecture en est un grand aussi. A mon avis, comme votre message le donne à entendre, il est capital.
Avec la méthode que je préconise dès que l’enfant commence à écrire, même un tout petit peu, d’une part il doit réfléchir, d’autre part la combinatoire commence à se mettre en place implicitement et en pratique il peut être en MS. Ce qui est un gros gain, de temps sans doute, mais aussi et surtout en terme de valeur un gain dans la confiance en soi.
Au sujet des formes étudiées dans le répertoire graphique comparativement aux formes de l’écriture des minuscules cursives latines, si vous ne l’avez pas encore fait je vous invite à voir ici la série 10 minutes par jour par jour . en commençant par la leçon 1.
Je vous souhaite une bonne réussite dans la chasse aux mauvaises habitudes et pour l’ensemble bien sûr de votre enseignement.
Cordialement
Daniele Dumont