daniele dumont

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Doit-on faire écrire les majuscules en cursive dès le début de l’apprentissage de l’écriture ?

Question : Je suis enseignante en GS et j’ai assisté récemment à l’une de vos conférences. Lors de ma formation universitaire, un reproche m’avait été fait à propos de l’écriture du prénom (à l’époque, je ne savais pas qu’il ne fallait pas commencer par cela !). Sur le modèle, j’avais écrit la majuscule en capitale et le reste du prénom en cursive. La formatrice m’avait dit de ne pas mélanger les 2 écritures et qu’une majuscule en cursive n’était pas plus difficile qu’un y ou un z en minuscule. Que pensez-vous de faire écrire les majuscules en cursive dès le début de l’apprentissage ? Merci pour votre réponse. Respectueusement,

Ma réponse

Bien des personnes croient encore qu’il faut commencer l’apprentissage de l’écriture par le prénom. J’espère pour les enfants qu’elles se réveilleront bientôt car cela pose de nombreux problèmes.

Au sujet de l’écriture des majuscules cursives dès les tout premiers écrits.

Si, une majuscule cursive est plus difficile qu’un y ou un z, si tant est qu’on les a appris de façon structurée.

y = une étrécie à laquelle s’enchaîne un jambage, c’est donc vraiment très simple.

z = une attaque de grande boucle, un rouleau, un rouleau prolongé bas.

Il suffit donc de connaître les deux formes de base et leurs dérivées pour pouvoir les écrire.

Si les majuscules calligraphiques peuvent se classer en fonction de leur attaque (cf. Le geste d’écriture, tableau page 138) le système qui en assure la construction n’est pas évident sauf pour quelques-unes. Pour comprendre qu’écrire des majuscules calligraphiques n’est pas simple, il suffit de voir l’opposition que j’ai rencontrée lorsque j’ai voulu proposer que le D soit tracé sur le modèle de B, P, F – ce qui serait logique.

Sans doute certains enfants de maternelle sont-ils capable de les écrire correctement. En tout cas pour pouvoir toutes les écrire, il est nécessaire qu’ils aient une habileté suffisante pour descendre correctement sous la ligne (c’est à dire pour tracer un jambage) et qu’ils les apprennent une à une sans référence à un métalangage (puisqu’il n’en existe pas à leur sujet à ma connaissance).

Donc oui, l’écriture des majuscules calligraphiques est difficile. Leur apprentissage en maternelle ne me semble pas être un objectif raisonnable. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille les interdire à l’enfant qui réclamerait de les écrire.

 

Au sujet de l’initiale du prénom car, in fine, la question est bien de savoir comment on écrit une lettre qui, grammaticalement, doit s’écrire en majuscule (initiale des noms propres et début de phrase). Doit-elle être en capitale, en majuscule calligraphique ou en cursive ?

L’écriture en capitale est d’accès simple : il suffit de savoir gérer l’espace graphique et manier le crayon pour reproduire correctement les capitales. L’inconvénient est que deux systèmes d’écriture sont en présence (modèle d’écriture d’imprimerie pour l’initiale ; modèle d’écriture cursive pour les minuscules) ; ce n’est pas conforme à la règle.

L’écriture en minuscule permet d’écrire le mot en question (en l’occurrence le prénom) dès que toutes les minuscules dudit mot sont connues. L’inconvénient est que ce n’est pas conforme à la grammaire.

L’écriture en majuscule calligraphique est conforme à la grammaire. L’inconvénient est sa difficulté particulière.

A mon avis, ce sont trois mauvaises solutions car aucune ne donne pleine satisfaction. Les deux premières sont des solutions d’attente.

Ma suggestion est de laisser le choix à l’enfant entre ces trois possibilités tout en lui montrant celle qui correspond à la règle, la majuscule (calligraphique). Cette offre de choix devrait être assortie de quelques explications :

– la majuscule est difficile, nous ne l’avons pas apprise, tu as le droit de choisir d’écrire pour l’instant une minuscule que tu remplaceras par une majuscule quand tu voudras…, quand tu sauras (en CP, en CE1 ou avant si tu veux). Il n’y a pas d’urgence, il faut juste que tu saches qu’il faudra la remplacer plus tard.

– tu as aussi le droit de choisir de la remplacer par une capitale. C’est plus facile. Il faut juste que tu saches que tu apprendras bientôt (en CP, en CE1 ou avant si tu veux) à la remplacer par une majuscule.

Voilà donc ma position car on ne peut pas obliger l’enfant à faire ce qu’on ne lui a pas appris à faire et je trouve qu’il est sain que l’enfant sache qu’il existe des limites aux capacités qu’on peut avoir et que dépasser ces limites ne signifie pas “faire n’importe quoi” mais bien “se donner les moyens de faire correctement”*. (*et je dirais hors écriture que si chacun avait cette réalité-là en tête et la mettait en pratique, le monde irait peut-être mieux… mais c’est un autre débat)

Par |2019-02-20T16:45:09+01:0027 décembre 2012|2 Commentaires

Dialogue sur la montée des difficultés d’écriture

Question : Je me permets de vous faire part d’un échange avec ma collègue de CM2 proche de la retraite qui me faisait remarquer ce matin que sur ces 30 élèves, seuls, environ 5, écrivent correctement. Elle s’inquiétait fortement de cette tendance grandissante.

Etant maître E sur 4 écoles je constate cet état de fait qui selon moi vient non seulement d’un manque en maternelle et aussi d’une baisse importante de l’exigence de façon plus générale ; notamment des parents.

M’appuyant sur vos ouvrages, n’étant pas spécialiste en didactique de l’écriture, je m’aperçois qu’il est difficile de changer des habitudes qui avant tout partent des volontés. Je continue à croire aussi que ce changement doit aussi se faire en partenariat important avec les parents.

Je souhaiterais ainsi avoir votre avis concernant des remédiations au niveau du cycle 2 (CP, CE1), cycle 3 qui apparaissent, pour moi, peu fructueuses si elles n’impliquent pas plusieurs acteurs. Le fait est aussi que je peux voir, au mieux, les élèves au maximum 2 fois 40 mn dans la semaine (avec des jours d’intervalle). Le changement doit-il impliquer une aide massée ?

Ma réponse :

L’accroissement des difficultés d’écriture et, pour une part, des difficultés générales des enfants face à leur scolarité est une conséquence logique d’un ensemble de paramètres dont vous évoquez quelques aspects. Votre position de maître E vous a fait percevoir l’étendue du problème et réfléchir aux causes possibles.

Vous évoquez le manque en maternelle. Ce pourrait être effectivement une raison. Toutefois : à l’époque où l’école maternelle n’était pas généralisée, les enfants apprenaient à écrire en CP. Apprendre aux enfants à écrire est d’ailleurs l’une des vocations du CP. On ne peut donc pas évoquer le manque d’enseignement de l’écriture, dans la mesure où manque signifie « absence de ».

On constate aussi que les enfants qui avaient fréquenté les écoles maternelles du passé n’avaient pas particulièrement de problème d’écriture.

Vous évoquez aussi une baisse de l’exigence de façon plus générale. Vous avez raison. A mon avis, cette baisse de l’exigence repose sur un ensemble de confusions : écrire est devenu « produire de l’écrit ». L’écriture en tant que trace disparaît du projet et la qualité de la réflexion est estompée par la nécessité de produire. Je pourrais développer ici un long plaidoyer en faveur de l’acte d’écriture (qualité de la trace et qualité de la réflexion qui la motive).

S’est installée une confusion entre graphisme (trace non codifiée) et écriture (trace socialement codifiée donc se référant à un métalangage) et entre encodage procédural (encodage des automatismes) et encodage sémantique (encodage de la description de la trajectoire ou des tracés).

Cette confusion parle d’elle-même :

–       D’un côté (métalangage + encodage procédural) l’enfant a encodé un geste qui se met automatiquement en place pour créer des formes dont il a appris le fonctionnement du système. Exemple écriture du mot «lu» l’enfant de maternelle voit une grande boucle dont il sait qu’elle forme la lettre l et il la trace automatiquement, sur cette grande boucle s’enchaînent deux petites étrécies dont il a appris qu’elles forment la lettre u et il les trace automatiquement ; avec un peu d’habileté ses yeux voient « lu » et son esprit se dit « lu ».

–       de l’autre (graphisme et encodage sémantique par le biais de la verbalisation) le même enfant dans le même exemple voit un tracé dont il se dit qu’il démarre sur la ligne qu’il monte en courbe vers la droite jusqu’au 1er interligne, qu’il tourne en haut vers la gauche. Il doit ensuite penser à redescendre jusqu’à la ligne et à tourner pour remonter droit jusqu’au 1er interligne puis redescendre juste sur le trait etc.

Dans le 2ème cas d’une part il faudra bien des répétitions, donc bien du temps à l’enfant pour qu’il automatise son geste, d’autre part il ne peut pas avoir l’esprit libre pour percevoir la relation graphophonologique qui lui donnera la clé de l’accès au sens de ce qu’il écrit.

Par ailleurs, il semblerait que, au fil du temps, l’adulte ait peu à peu calqué les exigences posées à l’enfant sur les variations constatées dans l’écriture de l’adulte qui en maîtrise la technique. Sous le prétexte que l’adulte n’avait pas une écriture parfaitement calligraphiée on a accepté chez l’enfant des inégalités de toute sorte qui n’ont rien à voir avce les inégalités portées par le rythme de l’écriture fluide de l’adulte.

 

Vous évoquez plus précisément une baisse de l’exigence des parents. Personnellement, les parents que j’ai côtoyés étaient plutôt exigeants. C’est normal puisqu’ils me conduisaient les enfants en rééducation. En revanche, j’ai eu l’occasion d’entendre des parents et des enseignants – et même des personnes qui prétendent faire de la rééducation d’écriture – dire que la tenue du crayon n’avait pas d’importance. C’est ne pas vouloir se rendre compte d’une réalité parfaitement tangible : des positions et maniements du stylo inadaptés créent des tensions dans les doigts ou le bras, parfois même jusque dans l’épaule. Si on écrit beaucoup ainsi on risque non seulement de souffrir mais encore de se trouver bloqué par une crampe de l’écrivain.

 

M’appuyant sur vos ouvrages, n’étant pas spécialiste en didactique de l’écriture, je m’aperçois qu’il est difficile de changer des habitudes qui avant tout partent des volontés. Je continue à croire aussi que ce changement doit aussi se faire en partenariat important avec les parents, dites-vous.

Effectivement, les habitudes sont difficiles à changer. Ceci dit, si on donne aux enseignants de bons outils, c’est-à-dire de bonnes instructions, il n’y a pas de raison pour qu’ils n’adhèrent pas.

 

Pour répondre à votre interrogation : « Je souhaiterais ainsi avoir votre avis concernant des remédiations au niveau du cycle 2 (CP, CE1), cycle 3 qui apparaissent, pour moi, peu fructueuses si elles n’impliquent pas plusieurs acteurs. » je dirais que sauf si – quel qu’en soit le motif – l’enfant ne fait pas le travail demandé, une rééducation mené par un rééducateur compétent ne sollicite pas plus les parents et les enseignants que pour une bienveillante attention.

 

Le fait est aussi que je peux voir, au mieux, les élèves au maximum 2 fois 40 mn dans la semaine (avec des jours d’intervalle). Le changement doit-il impliquer une aide massée ? En ce qui vous concerne, vous maîtres E, vous pouvez apporter une aide dans le cadre de difficultés bénignes d’écriture. Si vous le souhaitez vous pouvez utiliser les cahiers que j’ai créés pour cela chez Hatier :  le cahier 2 de CP-CE1 – Perfectionnement, et, pour aller un peu plus loin et pour englober également la copie, le cahier Remédiation. Votre compétence à guider les enfants et un petit travail quotidien entre les séances devraient permettre une bonne amélioration.

En revanche, il est préférable que les cas plus lourds soient dirigés vers des professionnels spécialement formés à la rééducation de l’écriture.

Par |2019-02-20T16:41:25+01:0016 octobre 2012|0 commentaire

Obliques des M et N

Question : En lisant votre livre, j’ai trouvé des réponses à tout un tas de difficultés rencontrées par mes élèves. Après des alignements en salle de jeux, puis sur la table, etc, je les ai vus coller des étiquettes horizontalement sans repères et sans aide, même si mes réalisations ne sont pas aussi jolies que le calendrier mis au début du site ! Merci pour votre travail. Nous rencontrons des difficultés dans l’écriture des majuscules d’imprimerie pour obtenir que les obliques des N et M par ex soient vraiment obliques. Nous avons essayé l’observation des enfants descendant sur le toboggan : est-ce une solution ? Y en a t-il d’autres ? Merci de votre réponse.

Ma réponse : Vous soulevez-là une question fort intéressante qui me sera l’occasion de repréciser le rôle du contrôle visuel et ce  qui relève de l’encodage procédural.

La place de l’enseignement des capitales dans Le geste d’écriture en montre les bases de l’apprentissage : il se place juste après la gestion statique de l’espace graphique qui fait place à l’apprentissage de la tenue et du maniement du stylo ( pages 75 /76 de la nouvelle mouture – août 2012) .

La gestion statique sert au contrôle visuel des contingences spatiales de l’écriture dont vous avez souligné la réussite mais les premières traces graphiques celles laissées par l’apprentissage de la tenue et du maniement du crayon. Ce sont des verticales. leur rectitude est due au bon déplacement des doigts. De la même façon, les obliques sont obtenues par le mouvement des doigts.

Autrement dit, ce ne sont pas des référents visuels qui guident l’enfant dans l’apprentissage* des formes mais un encodage procédural. Je vous suggère donc de leur faire faire la “course aux zigzags ” – que vous avez dû voir dans le livre et le cahier . Ils la font les yeux ouverts, les yeux fermés d’un geste vif. Jamais au ralenti et surtout jamais en verbalisant.

Ensuite vous montrez au tableau un aménagement de cette “course aux zigzags” en dépliant bien droit les doigts  au début et en les repliant bien droit à la fin pour faire le M. Vous ne ralentissez pas trop votre geste et vous leur proposez de le faire en fermant les yeux pour commencer. Quand ils sauront écrire M, l’accès à N devrait être facile.

* Une fois les formes de base et leurs dérivées connues, elles sont les référents visuels qui servent à analyser les lettres pour bien les écrire. Elles constituent le métalangage indispensable pour bien voir les lettres.

Donnez-nous des nouvelles.

 

Par |2019-02-21T20:31:06+01:0030 septembre 2012|0 commentaire

Des échos des 2èmes journées, cru 2012

J’ai été ravie de recevoir, à cette première (cette première des 2èmes journées … peut-on le dire ainsi ? ) des enseignant-e-s de divers coins de France, mais aussi de Tunisie. Les plus lointaines ont donc pris l’avion pour venir et les plus proches n’ont fait guère plus de 10 km. Ce fut pour moi un réel plaisir d’accueillir les un(e)s et les autres.

Je me demande si je ne vais pas renouveler plus tôt que je ne l’avais envisagé.

A suivre…, donc.

Je replace ici le message reçu sur le livre d’or de l’ancien site après les premières “deuxièmes journées” :  Un petit coucou après les journées de l’écriture en juillet. J’ai remis au propre toutes mes notes et me sens d’attaque avec plein d’enthousiasme pour la rentrée de septembre. Les journées de l’écriture ont été très riches et je souhaitais te remercier pour ta générosité. A bientôt, par mail, en conférence ou lors d’une autre formation… Salutations de Charente Maritime Bettina

Par |2019-02-21T20:24:14+01:002 septembre 2012|0 commentaire

L’école maternelle de demain

Le lecteur trouvera en lien la synthèse d’une formation que j’ai donnée en 2008 aux formateurs des enseignants de maternelle et d’élémentaire de l’académie de Reims (Inspecteurs, Inspectrices, Conseillers et Conseillères pédagogiques, maître formateurs et formatrices).

L’essentiel de la méthode reste valable mais j’ai revu depuis l’organisation des formes. Je peux dire actuellement qu’elles se répartissent en deux unités lesquelles ont pour forme de base la boucle et (suite…)

Par |2021-11-26T15:30:33+01:002 septembre 2012|0 commentaire

Cahier de remédiation

Dernier né de la collection “Les cahiers d’écriture”, le cahier Remédiation se propose de fournir des exercices permettant de remédier aux difficultés d’écriture, comme son nom l’indique.

Ce cahier aborde tous les aspects de l’écriture auxquels il est possible de remédier sans formation spécifique à la rééducation de l’écriture. De la position de la main jusqu’à la prise d’indices et à la copie différée avec relecture (pour droitiers et pour gauchers), il balaie les champs remédiables en focalisant l’attention sur des caractéristiques spécifiques.  Il ne remplace pas le cahier perfectionnement qui, lui, a sa place dans le prolongement du cahier 1 apprentissage.  Il ne remplace pas non plus le travail d’un rééducateur, lequel nécessite une connaissance approfondie du fonctionnement du geste graphique. En revanche, il a place dans l’aide personnalisé aux élèves présentant des difficultés d’écriture modérées.

Il a été rafraichi en 2020 comme on peut le voir sur le site des éditions Hatier 

Par |2022-10-30T21:02:29+01:001 septembre 2012|0 commentaire

Le geste d’écriture – Méthode d’apprentissage – Cycle 1 – Cycle 2

Le geste d'écritureBien que toujours référencé à la vente édition 2006 Le geste d’écriture – Méthode d’apprentissage – Cycle 1 – Cycle 2 a été revu pour son tirage d’août 2012. Publié pour la 1ère fois fin 1999, régulièrement réédité, Le geste d’écriture – Méthode d’apprentissage – Cycle 1 – Cycle 2  a donc été actualisé pour son 13 ème tirage.

Pour être sûr de l’achat en ligne de la bonne version on peut commander directement par le widget à droite de cette page (Découvrir ses publications). Pour l’achat en librairie vérifier qu’à la dernière page, page 176, figure la date d’août 2012 ou une date postérieure.

Comme son nom l’indique, l’ouvrage expose l’apprentissage de l’écriture en considérant tous les aspects du geste d’écriture. Il développe les concept de gestion statique et de gestion dynamique de l’espace graphique et montre leur intérêt dans l’apprentissage de l’écriture.  On y voit aussi, entre autres, comment l’écriture manuscrite faisant système, on peut partir des seules deux unités minimales pour construire l’ensemble de notre système graphique. Les 7 formes de base ou dérivées qui composent nos 26 lettres sont en effet issues de deux unités qui conduisent l’une et l’autre l’écriture vers la droite : l’une en passant par en bas pour donner la boucle et ses dérivées, l’autre en passant par en haut pour donner le pont et ses dérivées.

Des avis sur le site TILEKOL, et sur Amazon,

 

Par |2019-02-21T15:24:03+01:0030 août 2012|0 commentaire

Gestion statique et gestion dynamique de l’espace graphique

Lorsqu’on écrit au clavier on appuie sur des touches. Si le geste induit le choix de la lettre il n’induit pas la forme des lettres. Il n’induit pas non plus leurs dimensions ni leurs espacements.

Lorsqu’on écrit à la main les doigts, guidés par le cerveau, forment les lettres de l’écriture. En même temps, ils leurs donnent des dimensions et une disposition.

Le geste d’écriture produit donc des formes et les dépose sur un support au moment même où il les produit. Bien qu’intimement liées ces deux actions sont différentes :

– une écriture peut être parfaitement formée et mal disposée. Selon le cas, elle sera clairement lisible ou moins lisible. Par exemple si les e et l du mot “elle” sont de la même taille on aura bien du mal à lire le mot ; de la même façon si les corps des lettres d’un même mot se touchent ou s’il n’existe aucun espace entre les mots.

– elle peut être parfaitement disposée et mal formée. Dans ce cas elle peut aller jusqu’à l’illisibilité totale.

Il s’agit donc d’apprendre à l’enfant à former les lettres ce qui, dans son aboutissement, impose une façon de les disposer. Il s’agit donc aussi de lui apprendre à disposer les lettres dans des dimensions et selon des axes et des espacements convenus. Sauf cas particulier, l’écriture fait l’objet d’un contrôle visuel au fur et à mesure de sa production.

J’ai appelé l’acte de formation des lettres et son apprentissage : gestion dynamique de l’espace graphique.

J’ai appelé le contrôle visuel de l’ensemble des contingences spatiales de l’écriture : gestion statique de l’espace graphique.

S’il s’agit bien dans les deux cas de gérer l’espace graphique. Dans le 1er cas il s’agit de le gérer pour donner forme à l’écriture, donc en faisant un geste qui s’inscrit dans une dynamique, d’où l’appellation de gestion dynamique de l’espace graphique. Dans le 2ème cas il s’agit de contrôler au fur et à mesure. Pour que ce contrôle soit effectif, il faut connaître les critères qui y président. Non pas les connaître intellectuellement par leur nom mais bien les avoir intégrés. Ces critères pouvant s’appliquer à tout autre chose que l’écriture, l’accès à ces critères peut se faire progressivement hors écriture. Par exemple lorsqu’en jardinage les enfants repiquent des plans ils peuvent les aligner régulièrement. Cela participe de l’apprentissage du contrôle visuel de la linéarité et de la régularité des espacements. L’encodage se fait en dehors de toute dynamique du geste mis en œuvre, c’est le résultat qui est encodé, d’où l’appellation de gestion statique de l’espace graphique, laquelle n’a rien à voir avec “la réalisation d’horizontales ou de verticales pour apprendre à écrire”.

 

 

Par |2019-02-21T15:22:44+01:0030 août 2012|0 commentaire

Rééducation et troubles de la communication

Danièle DUMONT – Master 2 Recherche – Sciences du langage

Cours de Monsieur DANON-BOILEAU

Pathologie de l’acquisition de la communication et du langage chez le jeune enfant

THEME DU DOSSIER : TROUBLES DE LA COMMUNICATION ET REEDUCATION D’ECRITURE

INTRODUCTION

Les cours d’acquisition du langage chez le jeune enfant et ses échanges avec l’entourage au premier semestre de cette année universitaire suivis des cours de pathologie de l’acquisition de la communication et du langage chez le jeune enfant, dispensés les uns et les autres par Monsieur Danon-Boileau, par ailleurs psychanalyste au centre Alfred-Binet, ont attiré mon attention sur certains cas rencontrés dans mon activité de rééducatrice en écriture.

Outre des enseignements d’ordre comportemental dont beaucoup confortent ce que j’avais pu observer en plus de 20 ans de pratique, ces cours m’ont confortée dans la tonalité de ma relation avec les enfants en difficulté de communication et m’ont apporté un éclairage sur les acceptations spontanées de certains exercices alors que d’autres sont accueillis avec plus de réticence.

C’est sur ces derniers exercices et sur la variation de leur impact en fonction de la nature du trouble que portera le présent dossier.

Ma fonction de rééducatrice en écriture me donne l’occasion de rencontrer de temps à autre des enfants souffrant d’un trouble de la communication. Il n’est ni dans mes compétences ni dans mes intentions de m’immiscer dans le travail des thérapeutes qui les ont en charge. Hormis ma fonction de rééducatrice, je me situe donc exclusivement en position d’observatrice au regard du trouble de la communication de ces enfants. Malgré leur difficulté à entrer en relation et à interagir avec les personnes, j’ai pu établir un contact avec eux par le biais de la remédiation de leur geste d’écriture.

Le dossier que je me propose de présenter ici relatera trois cas : un cas d’enfant autiste de 8 ans ½ , un cas d’enfant de près de 6 ans présentant un trouble de la communication d’origine purement psychologique, un cas d’adolescent présentant également un trouble de la communication. J’essaierai d’ébaucher une conclusion en relation à la fois avec les troubles de la communication et la rééducation d’écriture.

Les consultations présentées étant antérieures à la présente année universitaire, je ne pourrai relater que les événements et comportements consignés au dossier de chaque enfant. Des comportements qui auraient pu avoir un intérêt clinique peuvent ne pas avoir été relevés faute, à l’époque, de connaissance sur le sujet et de raisons de les consigner.

Les séances à mon cabinet consistent en une observation de l’écriture produite et en cours de production, en l’analyse de son évolution et en la mise au point des exercices à faire quotidiennement pour poursuivre la remédiation. L’objectif est atteint lorsque l’écriture remplit des conditions de lisibilité, vitesse et présentation satisfaisantes et que l’intéressé « est réconcilié avec son écriture ».

S’agissant de remédiation portant sur une technique, celle du geste d’écriture, ces séances sont espacées d’au moins trois semaines pour que les automatismes concernés se mettent en place, sauf les deux premières qui ne sont espacées que d’une semaine pour me permettre de voir si le principe est compris et les exercices quotidiens acceptés, contrairement à « la prise en charge (thérapeutique) d’un enfant en difficulté de communication et de langage (qui) se fait en général à raison de deux ou trois séances par semaine 1» ainsi que l’indique Monsieur Danon-Boileau.

En effet, mon travail au cabinet concerne la mise au point d’exercices quotidiens à faire à la maison afin d’investir efficacement le geste d’écriture, tandis que la sémiothérapie psychanalytique créée par Monsieur Danon-Boileau consiste à « créer des circonstances qui engagent à l’échange et favorisent l’émergence d’une communication qui fasse recours à la parole 2» donc nécessite des contacts fréquents et ne comporte pas de volet en l’absence du thérapeute.

Ma relation aux enfants est faite d’écoute bienveillante et s’inscrit dans une tonalité calquée sur celle de la communication de l’enfant : selon les cas plus de silence, plus de parole, plus de lenteur, plus de vivacité… avec aussi recadrage si nécessaire. La poignée de main à l’arrivée est de rigueur quel que soit l’âge, ce qui instaure d’emblée une relation différente des relations habituelles à l’adulte, la poignée de main étant peu coutumière en direction des enfants.

1 – UN CAS D’AUTISME

Pierre est un jeune autiste de 8 ans ½. Il est en CE1. A l’entrée dans mon cabinet, il se serre contre sa mère ; ensuite il refuse qu’elle le laisse lorsqu’elle retourne en salle d’attente après que nous ayons fait le point de la situation scolaire et scripturale de Pierre. Il appelle « Maman, maman ». Il faut le rassurer. Sa maman le fait d’une voix ferme et affectueuse. Cette anxiété à entrer dans mon cabinet et ce besoin d’être rassuré au départ du parent accompagnateur se renouvelleront au début de chaque séance. Les cours m’apprendront plus tard que ce comportement anxieux à l’occasion des changements de lieu est fréquent dans les troubles de la communication.

Le contact est fonctionnel et fragile. Pierre n’a pas le contact spontané mais il répond aux sollicitations. Il parle d’un ton neutre. Il n’accroche pas mon regard. Cette mise à distance ne m’est pas réservée, Pierre coupe tout lien même auditif avec son entourage, à l’école il évite le contact avec l’enseignant en regardant le mur derrière lui et à la maison il refuse les câlins. Il aime jouer seul que ce soit à la maison ou à l’école. Il aime les jeux vidéo mais il n’aime pas regarder la télévision.

Les dispositions intellectuelles de Pierre sont en rapport avec son âge. Elle sont sans doute étayées par une éducation structurée, faite d’écoute et d’exigence.

C’est un enfant passif, pataud, au geste graphique mal assuré. Il adopte une posture tassée et comme bloquée ; il serre fortement son stylo. Après que j’aie vu comment il s’y prenait pour écrire, afin d’alléger la tension et de l’obliger à un déplacement du bras vers la droite nous essayons un tracé glissé de la couleur de son choix, sorte de grand 8 couché sur format A4 en paysage (c’est-à-dire placé dans le sens de la longueur).

Pierre se sent à l’aise dans l’exécution de cet exercice. Le côté répétitif de la tâche lui convient bien. J’apprendrai plus tard que la répétition de mouvements circulaires est souvent associée aux troubles de la communication de type autistique, ce qui peut expliquer l’intérêt de Pierre pour cet exercice.

Viennent ensuite, toujours sur papier uni de format A4 en paysage, des boucles de dimensions différenciées pour faire le lien avec ce qui deviendra l’écriture : deux grandes, deux petites, deux grandes (cf. illustration ci-dessus).

Par la suite, nous traitons également l’espace du lignage des cahiers d’écolier, dont le respect est d’une grande difficulté pour Pierre, puis les lettres rondes, dont Pierre ne maîtrise pas le point d’attaque, puis des formes spécifiques.

J’observe, je commente peu, adoptant pendant qu’il s’exécute le silence attentif et intéressé, usant de la parole presqu’exclusivement pour formuler les consignes et saisir les occasions de réussite pour l’encourager sans avoir eu l’occasion de répondre à une sollicitation ou à un énoncé spontané puisque Pierre n’en émet pas. Comme pour chaque enfant, je cherche ses centres d’intérêt pour cibler les mises en application de la compétence travaillée dans des phrases qui le motivent. Son déficit de communication m’incite à lui faire des propositions d’ouvrages dans lesquels nous rechercherons une base de travail plutôt qu’à lui faire chercher une phrase ou lui en proposer de ma batterie personnelle. Nous travaillons aussi sur des phrases écrites en classe, donc qu’il a déjà vues.

La rééducation a demandé six séances et s’est déroulée sur dix mois suite à un voyage de la famille à l’étranger pendant cinq mois. Sans que l’écriture de Pierre soit d’une haute qualité, l’objectif a été atteint : l’écriture est devenue lisible et respecte les interlignes, chose qui était tout à fait impossible à Pierre auparavant.

Pierre semble y avoir gagné une meilleure estime de soi à la fois au dire des parents et à l’observation de son comportement devant ses productions écrites. Cette estime de soi est étayée par le fait que la maîtresse a pu constater ses efforts à travers l’amélioration de l’écriture.

Son comportement communicationnel est resté le même : démonstration d’angoisse à son arrivée dans mon bureau et au départ des parents pour la salle d’attente. La rééducation n’a pas eu d’impact non plus sur sa participation à  la vie de classe, sur les jeux collectifs, ni sur son comportement à  la maison, mais ce n’était pas son objectif.

2 – UN CAS DE TROUBLE DE LA COMMUNICATION D’ORIGINE PUREMENT PSYCHOLOGIQUE 

Annie a bientôt 6 ans. Elle est en grande section maternelle. Elle m’est adressée par les services d’aide sociale à l’enfance au cours du 2ème trimestre de l’année scolaire.

Par suite de mauvais traitements familiaux d’une haute gravité, Annie est placée dans une famille d’accueil avec ses deux frères. Bien que bavarde dans la famille d’accueil et participant volontiers aux jeux de ses frères, Annie s’est installée à l’école dans un mutisme complet aussi bien vis-à-vis de ses camarades de classe que vis-à-vis de l’équipe pédagogique. Elle reste prostrée dans son coin et ne participe pas à la classe. Ses productions graphiques sont très rares et de faible niveau.

Annie est suivie par une psychologue des services de l’aide sociale à l’enfance. Elle ne présente aucune pathologie.

Lorsqu’elle arrive en rééducation, Annie se présente comme une petite fille craintive mais éveillée. Ses productions graphiques à l’école sont pratiquement inexistantes et de mauvaise qualité. Elle accepte la rééducation et se prête volontiers aux exercices.

Les conclusions du bilan indiquent qu’il s’agira de mettre en place les compétences kinesthésiques qui régissent la gestion dynamique de l’espace graphique, c’est-à-dire l’entrée dans l’écriture par le geste formateur des lettres qui la constituent. Les premiers travaux demandés à Annie sont donc des jeux de foulards ou de rubans qui laissent une trace éphémère dans l’espace et initient le mouvement formateur de l’unité minimale essentielle de l’écriture, la boucle 3.

Après une semaine, à l’occasion de la 2ème séance, les jeux de foulards ou de rubans sont complétés par les mêmes mouvements laissant une trace sur une piste graphique verticale. Il s’agit de laisser des traces de couleur sur une feuille de deux mètres de long, fixée au mur à hauteur de l’enfant, en changeant de couleur à chaque passage et en changeant de feuille chaque jour afin que je puisse évaluer l’évolution. Formées par le même mouvement que celui des jeux de foulards et de rubans, ces traces représentent des boucles enchaînées les unes aux autres dans un geste continu. Elles vont d’un bout à l’autre de la feuille. Le changement de couleur permet de différencier les lignes car elles se superposent.

Je montre à Annie le geste à faire : c’est un réinvestissement des jeux de foulards. Alors que son geste avec le foulard était ample, soit Annie fait de tout petits mouvements formant des boucles très petites, légères, médiocrement assurées, soit elle refuse. ″ Nous décidons ″ alors de les faire ensemble. Je lui tiens la main et nous faisons plusieurs fois le même geste sur la même feuille. Annie se laisse guider.

La consigne pour le travail quotidien jusqu’à la séance suivante, trois semaines plus tard, est donc que sa maman d’accueil, Madame A, lui fasse faire des boucles sur plan vertical en commençant à main guidée les premiers jours pour impulser le geste jusqu’à ce qu’Annie accepte de les faire seule.

Quelques jours plus tard Madame A, me téléphone :”Annie ne veut plus que je lui tienne la main, que dois-je faire ?”. C’est bon signe. Je conseille donc de lui laisser faire seule les boucles demandées. A la séance suivante (c’est à dire quatre semaines après le début de la rééducation) Madame A m’apprend que, dès qu’elle a pu réaliser seule les boucles sur plan vertical, Annie s’est mise à parler en classe et à participer à la vie de la classe et aux jeux des autres enfants. En même temps, elle accepte de réaliser les productions graphiques qui lui sont demandées en classe. Certes elles sont de mauvaise qualité (cf. illustration page suivante) mais elles existent, ce qui correspond à l’objectif des premières séances : libérer le geste graphique, étape indispensable pour pouvoir ensuite le travailler.

En libérant son geste graphique, base de la communication écrite, Annie a pu enfin s’exprimer oralement ; elle a osé s’exprimer de nouveau oralement en-dehors de sa famille d’accueil. Ce serait plus éloquent encore dit en espagnol : “se ha atrevido a”, l’étymologie de ce verbe remontant jusqu’à la notion de ce qui est réparti entre les tribus, autrement dit attribuable à chaque tribu, chaque clan ou chaque famille et soulignant, de ce fait, la transgression qu’implique cette étape de la vie psycho-affective de la fillette. Elle a transgressé la consigne implicite de silence qui lui avait été imposée par son vécu familial.

Pendant que nous discutons de l’évolution de la rééducation, Annie dessine sur un tableau qui se trouve dans mon bureau. Elle a à sa disposition deux marqueurs : un noir et un vert. Alors qu’elle en était jusqu’ici au bonhomme têtard, Annie dessine une fillette aux cheveux longs, aux bras largement écartés et dont la robe est bicolore : noire à gauche, verte à droite. La bouche est fortement noircie.

Nous pouvons supposer que la bouche dessinée en noir dit l’interdiction de parler et que le côté gauche noirci du dessin nous dit le poids douloureux de son vécu et que, parallèlement, l’accès à une trace écrite et à un dessin à la fois figuratif et symbolique – au lieu du bonhomme têtard habituel – montre qu’Annie s’accorde désormais le droit de s’exprimer. Il est vrai qu’elle ne s’en prive pas, y compris à l’école où la maîtresse la trouve maintenant trop bavarde, y compris aussi auprès de moi elle se comporte en fillette vive et espiègle s’exprimant volontiers spontanément.

La rééducation a demandé six séances et s’est déroulée sur quatre mois. L’entrée dans l’écriture est devenue possible.

Parallèlement aux premiers résultats de la rééducation graphique, le comportement communicationnel d’Annie en dehors de sa famille d’accueil a fortement évolué. Il a rejoint, en communication orale et en partage des jeux, ce qu’on attend d’une enfant de son âge.

3 – UN AUTRE CAS DE TROUBLE DE LA COMMUNICATION

Jean, 15 ans, est déscolarisé depuis deux ans. Il suit des cours de classe de 4ième par correspondance. Sa mère l’accompagne. Il entre la tête cachée sous le pan de sa veste. L’interrogeant sur l’objet de sa visite, je n’ai pas réussi à lui faire prononcer un seul mot. L’objectif était de le faire parler de sa relation à l’écriture.

Moi : – Bonjour. Alors, pourquoi viens-tu me voir?

Jean : –

Moi : Tu ne sais pas ?

Jean : –

Moi : As-tu porté quelque chose à me montrer ?

Jean : –

Sa mère me tend ses cahiers. L’écriture est difficile à lire. Elle est très serrée. Le trait est tendu.

Tout au long de l’introduction à la séance de rééducation, c’est la mère qui répond à mes questions. Nom, prénom, date de naissance, classe etc. Jean reste impassible, le corps rigide, comme figé, n’établissant aucun contact du regard ni avec moi, ni avec sa mère.

Afin de faire le point sur l’apprentissage et l’évolution de son écriture, je consulte les cahiers. Jean ne dit rien. Après que j’aie expliqué à Jean et à sa mère le déroulement des séances et mon pronostic d’évolution de l’écriture, sa mère retourne en salle d’attente.

J’essaie d’établir le contact en évitant toutefois de trop parler. Je lui donne des consignes et lui montre ce qu’il doit faire en l’exécutant moi-même. Jean écoute. Il suit les consignes. Il réajuste lorsque je le lui demande. Je suis amenée à lui guider la main pour impulser un mouvement de tracé-glissé, c’est-à-dire de grands tracés en boucles sans lever le stylo ayant grosso-modo la forme d’un oiseau à la Matisse, puis pour impulser des séries de boucles.

Ces productions, à réaliser rapidement, ont pour objectif d’apprendre à dégager le bras du corps et mobiliser les doigts pour les mouvements de motricité fine qui formeront l’écriture. Elles ont également pour objectif d’accélérer le geste, le tout ayant pour finalité de rendre l’écriture plus aérée et plus fluide.

Jean se prête sans réaction spécifique à ces exercices à main guidée. Il les poursuit seul avec réussite. Il réalise tous les travaux demandés sans commenter ni manifester physiquement de l’intérêt ou du refus. Les exercices sont répétitifs : il s’agit de repasser vivement sur un tracé-glissé ou de reproduire plusieurs fois de suite d’un geste vif des séries de boucles identiques. Lorsque c’est nécessaire, je m’assure que Jean ait bien compris et qu’il soit d’accord pour tel ou tel exercice. Ses réponses sont rares et brèves.

La rééducation se poursuit sur ce mode jusqu’à son terme. Notre contact s’établit donc autour de l’écriture. Je lui parle peu afin de respecter sa façon d’être tout en le sollicitant, suffisamment toutefois pour tenter d’enclencher un échange. En vain. Les réponses de Jean sont rares : 3 à 4 réponses d’un à deux mots pour ¾ d’heure de consultation, soit environ 2 mots groupés par quart d’heure. Elles sont prononcées d’une voix neutre, d’intensité moyenne. Elles sont adaptées.

Avec deux mots par énoncé, on pourrait penser à un syndrome sévère de l’expression de la parole, mais le trouble de la communication non verbale (n’accroche pas le regard, se cache sous le pan de sa veste lorsqu’il entre, adopte une posture rigide) et le trouble de la prosodie (ton neutre, monocorde) orientent vers un trouble de la communication et du langage plutôt que vers un trouble pur du langage 4.

Sa mère me dit qu’il fait avec plaisir les travaux quotidiens entre les séances (environ ¼ d’heure), notamment les tracés glissés puis les séries de boucles.

Jean n’a pas d’amis. Il n’a pas de camarades de classe puisqu’il est déscolarisé. A la maison Jean a peu de contact : contacts réduits à l’essentiel avec sa mère, pas de contacts avec son père, présent physiquement. Jean s’enferme dans sa chambre. Sur mes conseils, il fait ses exercices de rééducation en musique. Derrière la porte sa mère l’entend chantonner en les faisant.

Jean vient volontiers en rééducation mais il entre toujours dans la salle d’attente la tête cachée sous le pan de sa veste.

Ayant appris par sa mère qu’il ne bénéficiait d’aucune aide psychologique ni psychanalytique, j’ai, entre temps, adressé Jean à un psychanalyste spécialiste des adolescents attaché à l’hôpital psychiatrique de la région.

Peu de temps après, un échange avec le psychanalyste m’a appris que la thérapie avait due être abandonnée après trois séances faute d’avoir pu établir un contact : aucune parole n’est sortie de la bouche de Jean dans aucune des trois séances.

La prise en charge familiale qui avait été évoquée tant par la mère que par le psychanalyste n’a pas pu se faire car le père s’y est opposé. Selon la mère le comportement du père serait proche de celui du fils avec, en plus, un rejet du fils.

La rééducation graphique a desserré l’écriture sans l’assouplir beaucoup, mais l’objectif est atteint. L’écriture est lisible.

La rééducation s’est terminée après six séances étalées sur quatre mois. Elle a atteint son objectif de remédiation de l’écriture. Jean en accueille la fin sans manifestation visible mais sa mère dit qu’il regrette que nous arrêtions, les exercices lui plaisaient bien. Je comprends à demi-mot qu’elle-même regrette que Jean ne poursuive pas alors même qu’elle est d’accord pour constater que l’objectif est atteint.

Au dire de la mère, la rééducation semble avoir apporté un certain bien être à Jean. La répétitivité des exercices convenait bien à son mode de fonctionnement, c‘est sans doute pourquoi il les a acceptés si volontiers. En dehors de leur objectif de remédiation du geste d’écriture, ils ont un effet positif en soulageant son angoisse. Cependant le corollaire était un risque d’installer plus encore Jean dans son monde intérieur fermé à la communication. Je pense que poursuivre la rééducation comme semblait le souhaiter sa mère eut été une erreur, mais je comprends aussi qu’en tant que mère elle en voyait surtout l’effet apaisant sur son fils, ce qui lui rendait difficile l’évaluation des risques.

En revanche la rééducation n’a apporté à Jean aucune ouverture à l’autre. Son trouble de la communication persiste intégralement, du moins ce que j’en connais directement ou au dire de sa mère.

CONCLUSION : Intérêt de l’examen de l’évolution du trouble de la communication au cours de la rééducation de l’écriture.

Les trois enfants en question avaient en commun un trouble de la communication qui s’exprime, entre autres, dans une difficulté à entrer en relation avec l’autre.

Leur rééducation d’écriture a eu en commun un investissement de l’acte graphique dans de grands tracés répétitifs (boucles sur plan vertical pour la plus jeune, tracés en circuit fermé sur table pour les deux autres) suivis de séries de boucles constituant l’unité minimale essentielle de notre écriture cursive réalisées sur table sur format A4 5.

La rééducation graphique a atteint son objectif pour chacun des trois enfants. De plus, en les gratifiant, elle a amélioré l’image de soi de Pierre et d’Annie. On ne sait pas quel impact elle a eu à ce sujet pour Jean. Par ailleurs,

– Elle n’a pas eu d’effets sur le trouble de la communication de Pierre, dont l’autisme avait été diagnostiqué.

– Elle a eu un effet décisif sur le trouble de la communication – d’origine purement psychologique – d’Annie : en ouvrant l’accès à la communication écrite, la rééducation graphique a débloqué la communication orale et cela dès les premières productions.

On peut donc émettre l’hypothèse que certains exercices de rééducation d’écriture – en l’occurrence les exercices préparatoires portant sur l’investissement du geste graphique – aident à la résorption des difficultés de communication orale chez les enfants dont le trouble est d’origine purement psychologique (Annie) et n’a aucun effet chez les enfants dont le trouble est d’origine pathologique (Pierre).

On constate que la rééducation graphique n’a eu aucun effet sur le trouble de la communication de Jean.

Bien qu’il ait réalisé avec plaisir semble-t-il, en tout cas sans rejet, l’ensemble des exercices demandés, Jean n’a donc pas pu puiser dans la facilitation de la communication écrite les ressources nécessaires pour résorber ses difficultés de relation à l’autre.

Or, Jean s’est investi dans des productions graphiques circulaires (qui combinent la fascination pour ce qui tourne et l’attrait pour les jeux obsessifs), il résiste aux changements de routines (cf. il aurait voulu continuer), il établit difficilement un contact avec autrui, il n’établit pas de contact visuel, il ne parle pas, il s’isole dans sa chambre, les changements de lieu l’angoissent, autant de signaux qui alertent sur la possibilité d’une origine de type autistique.

En cela, il rejoint Pierre qui, présentant les mêmes symptômes, n’a pas bénéficié non plus d’une évolution positive de ses difficultés de communication alors qu’Annie, qui ne présentait pas ces symptômes à l’exclusion de l’absence de communication en milieu non protégé a bénéficié d’une évolution radicalement positive de ses difficultés de communication grâce à son implication dans le geste essentiel de l’écriture.

Bien sûr mon travail ne vise pas à la restauration ou à l’établissement d’une communication. Ce n’est pas dans mes compétences. Il s’attache plus modestement au geste d’écriture quel que soit le degré de l’absence de désir d’échange que je peux constater chez l’enfant. Il ne s’agit pas pour moi de comparer ce travail à une prise en charge spécifique susceptible de « créer des circonstances qui engagent à l’échange et favorisent l’émergence d’une communication qui fasse recours à la parole» 6.

Toutefois, il semble qu’on puisse en inférer l’hypothèse qu’un investissement dans le geste graphique est une aide à l’entrée dans la communication orale pour les enfants dont l’absence de parole est d’origine purement psychologique. Il semble qu’on puisse aussi en inférer l’hypothèse que la persistance du trouble de la communication  peut être un indice de son origine pathologique lorsqu’a été mise en œuvre cette voie d’accès à la communication qu’est l’investissement du geste graphique. .

Si ces hypothèses se confirmaient   – d’une part serait mis en évidence l’intérêt, pour les enfants en difficultés communicationnelles d’origine psychologique, d’une concomitance entre un travail sur l’expression par le geste graphique et un suivi psychologique ou psychanalytique ;

– d’autre part on pourrait alors diriger vers une investigation diagnostique les enfants sans langage ou à langage réduit non diagnostiqués dont la rééducation graphique ainsi conduite n’a pas d’effets sur les difficultés de communication.

 

1 Danon-Boileau, Laurent, Des enfants sans langage, Editions Odile Jacob, Paris janvier 2002, 284 pages, page 79.

2Op cit. page 80.

3DUMONT, Danièle, Le geste d’écriture – Méthode d’apprentissage – Cycle 1 – cycle 2, Paris, Editions Hatier, Collection Hatier pédagogie, 2ème édition 2006, 176 pages. Chapitre 6, le code scriptural : unités minimales et formes de base, chapitre 7 La gestion dynamique de l’espace graphique : création des formes et accès à l’écrit pages 80 à 102.

4 Danon-Boileau, Laurent, op. cit. page 20

5DUMONT, Danièle op. cit. unités minimales et formes de base, pages 80 et suivantes.

6DANON-BOILEAU, Laurent, page 80

 

BIBLIOGRAPHIE

DANON-BOILEAU, Laurent, Des enfants sans langage, Paris, Édition Odile Jacob 2002, 284 pages

DUMONT, Danièle, Le geste d’écriture – Méthode d’apprentissage – Cycle 1 – cycle 2, Paris, Editions Hatier, Collection Hatier pédagogie, 2ème édition 2006, 176 pages.

 

Laurent DANON-BOILEAU est professeur d’acquisition du langage et de linguistique générale à l’Université René-Descartes-Paris V.

Il est également psychanalyste, psychothérapeute d’enfants sans langage au Centre Alfred Binet à Paris.

 

Écouter sa conférence « Penser hors langage : quelle représentation ? »  dans le cadre des Conférences de Lamoignon

 

 

 

 

 

 

DUMONT, Danièle, Le geste d’écriture – Méthode d’apprentissage – Cycle 1 – cycle 2, Paris, Editions Hatier, Collection Hatier pédagogie, 2ème édition 2006, 176 pages.

Par |2019-02-20T21:07:40+01:0029 août 2012|0 commentaire

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